Promenons-nous dans le pan de bois
Crédits François Decaëns – ville de Caen
La ville de Caen a un cœur de pierre. Dans les bâtiments civils, religieux, du Moyen Âge à l’âge Classique, la pierre domine. Le bois toutefois n’est pas totalement absent. Jusqu’à la Renaissance, il était encore d’usage de construire certains bâtiments en pans de bois. Une grande partie de ce patrimoine a disparu lors de la bataille de Normandie, victime notamment des terribles incendies qui ont suivi les bombardements, mais quelques éléments peuvent encore être admirés.
L’histoire de la ville de Caen est indissociable de celle des carrières de pierre qui ont participé à son essor économique et urbain. Dès l’Antiquité tardive, on retrouve des éléments en Pierre de Caen : soubassement du temple visible derrière l‘Abbaye aux Hommes, sarcophages. Les flancs des coteaux sont exploités en premier, notamment à Venoix, à Vaucelles, vers la rue Basse ou les coteaux Saint-Julien. Puis les carrières souterraines, plus tardivement au Moyen Âge, seront ouvertes sur le plateau (Beaulieu, la Maladredrie notamment). Avec la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, la pierre commence à s’exporter à l’étranger, participant ainsi au développement du port de Caen. La Plaine de Caen par ailleurs ne possède pas de forêts importantes qui pourraient être exploitées. Dans ce contexte, il est peu étonnant que le bois y soit peu présent au contraire de la ville de Rouen par exemple. Le château de Caen est construit en pierre dès le 11ème siècle. Les églises, même les plus petites telle la chapelle Sainte-Paix, le sont également. Toutefois le pan de bois n’est pas totalement absent. A Caen, les maisons utilisant cette technique ne sont pas postérieures au 16ème siècle, contrairement à Rouen où elles persistent jusqu’au 18ème siècle. A cette époque en effet, les autorités interdisent les maisons à encorbellement et l’utilisation du bois afin d’éviter les incendies. Au 18ème siècle, un certains nombres d’entre elle furent détruites, notamment place Saint-Sauveur, pour être remplacées par de beaux hôtels particuliers en pierre de taille.
Au 20ème siècle, on trouvait encore des maisons dont la façade à pans de bois datant pour la plupart de la fin du 15ème et du début du 16ème siècle. On les trouve principalement dans les rues les plus marchandes de la ville : rue Saint-Pierre et rue Saint-Jean, mais également au pied du château. Remontons tout d’abord la rue Saint-Jean à l’aube du second conflit mondial. Au n°94, juste à côté des Nouvelles Galeries, dont le clocheton a marqué le paysage caennais pendant une cinquantaine d’années, se trouvait une maison de bois caractéristique du 15ème siècle. L’ossature en bois était assez peu ouvragée, mais elle était intéressante pour sa structure en encorbellement, chaque étage s’avançant un peu plus dans la rue. Cette disposition permettait notamment de protéger les étals des marchands qui s’étendaient au rez-de-chaussée.
Maison à pan de bois au 94 rue Saint-Jean. Crédits Collection Pigache
Un peu plus au nord, au n°19, s’élevait une maison à pans de bois construite selon Huard vers 1525. Cette maison est construite sans encorbellement, mais son décor était plus élégant. Les pilastres du premier étage étaient en effet ornés d’arabesques et de médaillons représentant des saints du Nouveau-Testament. La maison faisait à l’origine l’angle entre la rue Saint-Jean et la rue des Quais, qui, comme son nom l’indique, longeait l’Odon. Après la couverture de la rivière et la création du boulevard Saint-Pierre (actuel boulevard des Alliés) en 1860, l’architecte Marcotte vient plaquer un bâtiment contre l’immeuble, cachant ainsi une grande partie du décor et une tourelle avec chambre haute entièrement en bois. Le bâtiment était occupé par la pharmacie du Progrès. En 1928, ce bâtiment est inscrit au titre des monuments historiques. Huit ans plus tard, il est classé. Ces deux bâtiments ne survivront pas à la bataille de Caen.
19 rue Saint-Jean. Crédits Collection Pigache
En continuant rue de Geôle, nous tombons sur une des maisons les plus connues de la ville : la maison des Quatrans. Cette belle maison toute en longueur, fait rare à cette époque, est construite à la fin du 14ème siècle sur l’une des rues les plus actives de la ville pour la famille des Quatrans, tabellions du roi à Caen. Confisquée par les troupes anglaises lors de l’occupation de la ville au début du 15ème siècle, elle est ensuite reconstruite dans la deuxième moitié de ce siècle. A l’origine, elle se trouvait dans l’alignement des autres rues. Depuis la Reconstruction, elle se trouve entièrement dégagée des constructions qui l’enserraient. Cet isolement permet de mieux observer une des caractéristiques des maisons à pans de bois caennaises : seule la façade sur rue est construite en bois, le reste des murs de la maison étant en pierre. Cette façade en bois était en effet purement décorative, la pierre ne faisant pas défaut par ailleurs. Ainsi la façade sur cour et notamment sa belle tourelle du 16ème siècle, malheureusement mutilée après la guerre et démolie par erreur lors de la Reconstruction, était entièrement en pierre.
Maison des Quatrans, rue de Geôle. Crédits François Decaëns (Ville de Caen)
En faisant marche arrière pour remonter vers le château, on pouvait admirer plusieurs maisons à colombage. Rue Montoir-Poissonnerie, aux n°10 et 12, se trouvait deux maisons construites sous François Ier selon Trébutien. Il s’agissait de deux maisons à pignons contiguës. Comme au n°94 de la rue Saint-Jean, chaque étage était en sailli, le premier étage étant plus proéminent. Le n°10 est classé en 1938.
10-12 rue Montoir Poissonnerie
Crédits Médiathèque du patrimoine
En tournant dans la rue de la Porte-au-Berger, on repérait une maison à pignon, dont la forme étroite était l’héritière du parcellaire en lanière médiéval.
5 rue Porte-au-Berger. Crédits Collection Pigache
Mais c’est surtout à l’angle de la rue du Ham que l’on trouvait un des exemples les plus pittoresques de l’architecture à pans de bois à Caen. Cette maison, dont le mur pignon s’élevait sur la rue Porte-au-Berger, était marquée par un fort encorbellement qui faisait le bonheur des dessinateurs. La façade sur la rue du Ham en revanche était en pierre et l’on pouvait aisément voir où la façade en bois venait se raccrocher. À l’arrière, une tourelle en pierre était surmontée d’une chambre haute en bois. On retrouve encore cette disposition sur la façade de l’arrière de l’hôtel Duquesnay de Thon. Cette maison était malheureusement en train mauvais état, dès le 19ème siècle, le Vaugueux étant l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Elle fut détruite dans l’entre-deux-guerres lors des travaux d’assainissement du quartier.
Angle rue du Ham – rue Porte-au-Berger
Crédits Collection VB, Victor Benaïm, avec l’autorisation d’Yves Bénain
En redescendant dans le centre-ville, rue Saint-Pierre, on pouvait observer plusieurs maisons à pans de bois à l’entrée de la rue, côté pair là où l’alignement n’était pas du tout respecté. Aux n°18 et 20 par exemple, avec leurs encorbellements si caractéristiques. Certaines maisons à pignon devaient probablement cacher sous leur bardage de bois ou leur crépit des ossatures à pans de bois. Cet ensemble a disparu dans les flammes en 1944.
18-20 rue Saint-Pierre
Crédits Fonds Delassalle – archives municipales de Caen
Un peu plus loin, les n°52 et 54 ont survécu aux destructions. Ces deux maisons datent du début du 16ème siècle. Le n°54, plus richement décoré, a été construit pour un riche marchand de Caen, Michel Mabré, échevin de la ville en 1509. Le décor est typique de la Renaissance mélangeant personnages dansant et médaillon « à l’antique » avec des décors d’inspiration biblique. Chaque potelet est orné d’une statue faisant référence aux textes bibliques : Saint-Michel, une Vierge à l’enfant Jésus.
52-54 rue Saint-Pierre, détail. Crédits François Decaëns (Ville de Caen)
Afin d’être complet, il faudrait également répertorier toutes les cours sur lesquels s’élèvent des façades à pans de bois plus simples : rue Caponière (notamment au n° 15), rue Froide aux 10 et 49-51 . Avec un peu de patience, il est possible de visiter ces cours dont le charme reste malheureusement secret. Un patrimoine méconnu à redécouvrir.
15 rue Caponière. Crédits Droits réservés | 10 rue Froide. Crédits Droits réservés |