Souvenirs de Caen dans les années 1920 et 1930

Crédits Collection VB, Victor BENHAIM, avec l’autorisation d’Yves Bénain
Cet article est la suite de : Souvenirs de Caen dans les années 1910
Je descends du train comme je l’ai fait 25 ans auparavant à l’aube de la Grande Guerre.
Comme bien d’autres stations du réseau, la gare de Caen a fait l’objet quatre ans auparavant d’importants travaux de rénovation et d’agrandissement menés par Henri Pacon, un des architectes du réseau de l’État.
Le projet, un temps évoqué, de reconstruire le bâtiment voyageur au nord des voies n’a pas été réalisé. Les changements sont toutefois d’envergure. Les grandes halles qui couvraient autrefois les voies ont disparu. Ce sont aujourd’hui de simples abris en métal qui courent au-dessus des quais. Un passage souterrain a été creusé sous les voies pour faciliter les correspondances. Le grand hall du bâtiment voyageur est désormais éclairé par une grande verrière, alors que la façade sur la place est presque nue. Deux statues, La Normandie des champs par Paul Dideron et La Normandie maritime par Emmanuel Auricoste viennent égayer l’ensemble à chaque extrémité des ailes1. Seuls les arcs en plein cintre des baies rappellent l’ancienne gare.

Nouvelle gare SNCF par Henri Pacon.
Crédits : droits réservés
La rénovation s’est étendue sur la place et le petit chalet régionaliste des Chemins de fer du Calvados a fait place à une boîte de camembert en métal disposé devant la gare. Du vaste réseau qui s’étendait sur une grande partie du département, il ne reste qu’une ligne, celle reliant la gare à Luc-sur-Mer. Plus au sud, la ligne s’arrête à la Demi-Lune où avait été établi le dépôt2.
Un réseau de bus remplace désormais l’ancien tramway. Je m’empresse de rejoindre le centre-ville. Je passe devant les abattoirs3 longe le quai et vient buter sur la quincaillerie Legallais-Bouchard4. Je traverse le pont de Vaucelles remarque vers l’ouest que l’ancien barrage à l’emplacement de la chaussée ferrée a été remplacé par une fine et élégante passerelle enjambant d’un trait le fleuve.

Passerelle sur l’Orne.
Crédits : musée de Normandie
Sur la place de la caserne Hamelin (voir l’article sur la place du 36e RI), je remarque tout de suite une rue partant sur la gauche, à l’emplacement des anciens jardins de l’hospice Saint-Louis. Je m’engouffre dans ce quartier qui a pris la place de cette antique institution. Rien ne reste des bâtiments du 17e siècle qui s’élevaient ici jusqu’au début des années 1920. Seule la tour-ès-mort, ancienne tour des fortifications perdue au milieu d’un square et en bien mauvais état, nous rappelle que ce bout de la ville fait partie du centre historique de la cité. Bien que situé à proximité immédiate du centre-ville, ce quartier récent ne semble pas avoir connu une urbanisation foudroyante. On y trouve même une grande villa de bord de mer construite pour le docteur Morice !

Villa Morice, rue du Onze Novembre.
Crédits : archives municipales de Caen, fonds Delassalle
J’apprends que la structure de cette grande maison est faite de béton, bien que l’extérieur rappelle les villas de style néo-normand. Arrivé au bout de la rue du Onze-Novembre, je tombe sur une grande place sur laquelle s’élève le monument aux morts de la Grande Guerre dessiné par Paul Bigot et inauguré en 1927. Au sommet d’une longue colonne, se dresse une statue de la victoire sculptée par Henri Bouchard. Le socle est orné de bas-reliefs sculptés par Raymond Bigot et Alphonse Saladin. De grands bâtiments qu’affectionnent tant mes contemporains bordent la place : des hôtels (Malherbe et Beauséjour) construits dans le style dit Arts décoratifs et même un centre d’émanothérapie qui offre des cures de radiographie aux rayons X (voir l’article sur la place Foch).

Place Foch.
Crédits : collection Georges Pigache

Centre d’émanothérapie, place Foch.
Crédits : archives municipales de Caen, fonds Delassalle
Je constate, en me promenant sur le cours, que le canal Robert n’existe plus. Je reprends le chemin que j’ai pris des années auparavant : boulevard Circulaire, rue Daniel-Huet et enfin place de la Préfecture, rebaptisé en l’honneur de Léon Gambetta. Sur cette place s’élève désormais un grand bureau de poste construit par Pierre Chirol, l’un des architectures des postes et télécommunications. Je lui trouve une certaine majesté avec son décor « Arts décoratifs » rehaussé de menus détails régionalistes (voir l’article sur la place Gambetta).

Hôtel des postes, place Gambetta.
Crédits : Cadomus – Karl Dupart
Je repars vers les cités Grusse et Gardin pour rejoindre l’avenue Albert-Sorel. Cette dernière a été prolongée plus au sud permettant à la ville de grignoter toujours un peu plus la Prairie. Tout au sud, la maison des étudiants se signale. Elle a été construite pour accueillir dans de meilleures conditions les élèves de la vénérable université.

Maison des étudiants, avenue Albert Sorel.
Crédits : archives municipales de Caen, fonds Delassalle
En remontant vers le nord, je passe devant un stade nommé en l’honneur du préfet Maurice Hélitas et ouvert quinze ans plus tôt ; je constate que le vieux cinéma Omnia a été remplacé par des terrains de tennis. Je laisse la rue du Carel, désormais au sec, et arrive sur la place du Parc où je retrouve le cinéma sur le côté sud-est de la place.

Avenue Albert Sorel, cirque cinéma Omnia.
Crédits : collection George Pigache

Portail du stade Hélitas, avenue Albert Sorel.
Crédits : Cadomus – Karl Dupart
Je pénètre dans la vieille ville, peu de changements. Une nouvelle rue a été percée entre la rue Saint-Pierre et le boulevard des Alliés5 en passant par la place de la République6. À l’angle de ce nouvel axe et de la rue de Bras, la grande gare routière des Courriers normands7 a été ouverte l’année dernière sur le site de l’hôtel du Grand Dauphin.

Gare routière, rue de Bras – rue Paul Doumer.
Crédits : droits réservés
Sur le boulevard des Alliés, la succursale des Galeries Lafayette s’est considérablement agrandie (voir l’article sur les grands magasins). Les anciens jardins de l’hôtel de Than ont disparu. Une grande brasserie « Art décoratifs » accueillant un cinéma occupe désormais le site8.

Galeries Lafayette, boulevard des Alliés.
Crédits : collection VB, Victor Benaïm, avec l’autorisation d’Yves Bénain

Brasserie Chandivert, boulevard des Alliés.
Crédits : collection Georges Pigache
Mes pas m’amènent sur la place Courtonne. Je suis frappé par l’importance des travaux d’assainissement menés par la ville au début de la décennie. À l’emplacement de l’ancien abreuvoir s’étend désormais une vaste place. En retournant en arrière, je constate que les bras de l’Odon qui traversaient les arrière-cours des immeubles de la vieille ville ont également disparu. Un réseau d’égouts a été mis en place dans le lit de ces rivières, assainissant grandement l’air de la vieille ville surpeuplée (voir l’article sur la place Courtonne).

Vue sur la place Courtonne.
Crédits : collection VB, Victor Benaïm, avec l’autorisation d’Yves Bénain
Vers l’ouest par la rue Caponière, je constate que la ville a pratiquement rejoint la commune voisine de Venoix9 ! J’apprécie particulièrement le nouveau quartier construit sur les anciennes pépinières : le Nice caennais.

Villa Hélianthe, Nice Caennais, rue Caponière.
Crédits : Cadomus – Karl Dupart
Vers le nord, en passant à côté du stade vélodrome de Venoix10 nous traversons les hameaux de la Folie et de Couvrechef. Notre route nous mène jusqu’au petit village d’Hérouville. Depuis les hauteurs, quels changements vois-je ! Surplombant l’antique cité, une grande usine sidérurgique, dont le premier haut-fourneau est allumé en 1917, se développe sur le plateau de Colombelles. À ses pieds, le port s’est étendu et de nouveaux bassins ont été creusés. Une voie de chemin de fer a été tracée au début des années 1920 entre cette grande usine et les mines de Soumont dans la plaine de Caen. Les petits villages agricoles de Colombelles, Mondeville et Giberville sont devenues des villes ouvrières et leur population vient des quatre coins de l’Europe. A Colombelles, on a même élevé une église orthodoxe dédiée à Saint-Serge. Nous retournons dans la vieille ville que j’affectionne tant malgré mon éloignement. En discutant avec mon ami, j’apprends que la ville a adopté en 1931 un plan présenté par Danger. Ce plan prévoit des travaux majeurs afin de l’assainir. S’il est vrai que certains secteurs sont insalubres, notamment ceux envahissant les pentes du château et le cachant à nos yeux, il m’est toutefois difficile d’imaginer que ces quartiers ancestraux connaîtront d’importants bouleversements. Je retourne à l’hôtel et savoure un repos mérité (voir l’article sur les transformations de Caen dans l’entre-deux-guerres).
Je reviendrai dans ma ville dans quelques années, c’est certain. Quels changements verrai-je ?
- Ces deux statues ont disparu pendant l’Occupation. ↩︎
- Bien que durement touché lors du Débarquement, une partie de ce dépôt existe toujours au début du boulevard Leroy. ↩︎
- Les abattoirs occupaient l’emplacement du centre commercial des Rives de l’Orne. ↩︎
- Le quai sera prolongé à l’ouest lors de la reconstruction. Le magasin, reconstruit sur son emplacement d’origine, deviendra le BHV. ↩︎
- La partie entre la place Saint-Pierre et la place Gambetta a été renommée boulevard Maréchal-Leclerc après la Seconde guerre mondiale. ↩︎
- Actuelles rues Paul-Doumer et Georges-Lebret. ↩︎
- Cette gare routière est détruite dans les années 1980 et à son emplacement a été construit le c.entre Paul Doumer. ↩︎
- Le bâtiment, aujourd’hui vide, existe toujours, mais les ornements Art déco de la façade ont été détruits lors de travaux de modernisation après la Seconde Guerre mondiale. ↩︎
- La commune de Venoix est absorbée par celle de Caen en 1952. ↩︎
- Actuel stade Claude Mercier. ↩︎