Ils veulent reconstituer le Caen d'avant-guerre en 3D
L’association Cadomus, créée au début de l’année 2013, s’est fixé un but aussi extravagant que passionnant : reconstituer le Caen d’avant les bombardements, en 3D et en “réalité augmentée”.
Caennais et fiers de l’être, les membres de l’association Cadomus se sont rencontrés…sur un forum de supporters du Stade Malherbe. A partir d’un “post” de l’un d’eux sur le Caen d’avant-guerre, intitulé “Ouksété à Caen avant 1944”, est née l’idée de reconstituer la ville telle qu’elle était avant de subir les bombardements. “Chacun soumettait une carte postale ancienne et on essayait de la resituer dans le tissu urbain de l’époque”, détaille Michaël Biabaud, l’un des fondateurs du groupe, géographe spécialiste de l’urbanisme de la reconstruction de Caen.
Les vues aériennes de la RAF
Ancienne ville de garnison, Caen a, à ce titre, été énormément photographiée au début du XXe siècle. Une mine d’informations que Michaël et ses amis, constitués en association depuis janvier 2013, se sont évertués à exploiter un maximum. “Nous avons rassemblé environ 8.000 documents iconographiques, précisent Michaël Biabaud et Benoît Hinard, un autre membre de Cadomus, historien de formation. Mais nous n’en avons jamais assez, nous sommes preneurs de tous les visuels, y compris ceux des destructions : ils permettent de se faire une idée des arrières-cours, ordinairement masquées sur les photos prises de la rue.” L’association, qui tire son appellation du nom latinisé de Caen (lire encadré), a également fait l’acquisition de photos aériennes prises durant la guerre par la Royal Air Force et dispose des plans parcellaires qui ont servi pour la reconstruction de la ville ! A partir de cette incroyable base de données, Michaël, Benoît et les autres se sont attelés à un travail titanesque : faire entrer la ville d’avant-guerre dans le XXIe siècle, dans ses moindres détails, grâce à la réalité virtuelle. En clair, il s’agit de modéliser les bâtiments en 3D, puis de rendre accessibles ces images sur écran (tablettes, smartphones), par le biais d’une application de “réalité augmentée”. “Nous travaillons à la fois avec le CIREVE (Centre interdisciplinaire de réalité virtuelle), un laboratoire de l’Université de Caen, ce qui se fait de mieux dans le domaine, et la société Datexim.” Installée à Hérouville Saint-Clair, cette dernière est spécialisée dans la réalité augmentée. Pour faire simple, l’application reconnaît une forme sur un plan et y associe la reconstitution 3D du bâtiment qui s’y trouvait en 1936. L’équipe de Cadomus n’a pas choisi cette date comme référence par hasard. “Cela coïncide avec la dernière année d’exploitation du premier tramway de Caen, note Benoît Hinard. Nous envisageons de faire figurer ses différentes lignes dans notre projet.” A l’heure où le tracé d’une deuxième ligne fait débat à Caen, l’information ne manque pas d’intérêt…
En guise de démonstration, Cadomus a présenté, lors de Presqu’île en fête, une reconstitution de l’ancienne gendarmerie, qui se trouvait à l’emplacement de l’actuel centre administratif de la Préfecture (rue Daniel-Huet). “Les gens étaient stupéfaits”, sourient Michaël et Benoît. Le résultat est en effet saisissant. Il permet aux plus anciens de se replonger dans leurs souvenirs d’enfance, et aux plus jeunes de visualiser la ville telle qu’elle était à l’époque de papy et mamie.
La place de la République, première à “sortir de terre”
Au-delà de l’aspect ludique, l’intérêt du projet Cadomus n’a pas échappé aux institutions. L’usage “nomade” de l’application aurait ainsi particulièrement séduit la Ville, qui y aurait vu un bon moyen de communication. La réflexion menée actuellement autour de la place de la République pourrait trouver un prolongement virtuel grâce à Cadomus. “C’est le premier endroit que nous allons modéliser, souligne Michaël Biabaud, qui imagine déjà des bornes interactives posées ça et là sur la place. Sur l’actuel parking se tenait l’Hôtel de Ville, qui abritait aussi le commissariat, la Poste, une école et la bibliothèque.” Centrale à Caen, la place de la Rép’ possède aussi la particularité d’avoir été détruite en partie, mais de conserver intacts certains bâtiments d’avant-guerre. La première partie du XXe siècle y côtoie déjà le futur. “Elle est symbolique car elle existait déjà au XVe siècle, acquiesce Benoît Hinard. Qu’elle soit la première à basculer dans le XXIe n’est pas anodin.” Bien sûr, le kiosque à musique qui trônait au milieu de la place avant de disparaître mystérieusement, retrouvera sa place en 3D, grâce à Cadomus.
La place du théâtre puis la rue Saint-Jean, pour laquelle les documents foisonnent, suivront. En revanche, l’association manque de documentation pour les rues adjacentes du quai Vendeuvre, ainsi que pour les quartiers périphériques de Caen (Vaucelles, Clémenceau…). “Grâce aux vues aériennes, on arrive à déterminer la dimension des bâtiments, en comptant le nombre de fenêtres, détaille le géographe de la bande. Mais nous n’avons que peu de vues des façades.”
Les promoteurs du projet Cadomus ne désespèrent de réussir à modéliser la ville entière, tant l’écho rencontré jusqu’à présent est positif. “On vient vers nous”, se réjouit ainsi Michaël Biabaud, qui espère que les soutiens officiels ne resteront pas uniquement moraux. Plus vite le budget sera bouclé, plus vite la reconstitution en 3D du Caen d’avant-guerre deviendra réalité. Et pas seulement virtuelle.
Si vous disposez de photos ou de documents sur le Caen d’avant-guerre, n’hésitez pas à contacter l’association: contact@cadomus.org ou Facebook.com/Cadomus
L’application mise au point par la société Datexim permet de visualiser en 3D les bâtiments du Caen de 1936, à partir des plans de la reconstruction.
D’où vient le nom Cadomus ?
Cadomus est le nom “latinisé” de Caen. Le terme apparait pour la première fois en 1032 dans un acte du duc de Normandie Robert Le Magnifique. (Source : Marie Fauroux, Recueil des actes des ducs de Normandie (911¬ 1066), Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, tome XXXVI, 1961).
“C’est la forme latine la plus usitée, précise Benoît Hinard. Il y avait aussi Cadumus (cité en 1025) et Cathumus (1031-1034). Mais c’est Cadomus qui fut ensuite utilisé pour toute la période du Moyen-Âge.”
L’un est géographe, l’autre historien : Michaël Biabaud (à gauche) et Benoît Hinard mettent leurs compétences au service du projet fou de Cadomus.
Nicolas CLAICH