C'était Caen. Ces tuyaux qui ont changé la vie des Caennais
A gauche : le recouvrement du Grand Odon, rue Saint-Laurent.
A droite : le chargement de tuyaux sur des camions, à la gare de Caen.
En bas : les travaux majeurs d’assainissement de la ville de Caen vont être réalisés entre 1932 et 1935.
Crédits photos : Archives municipales de Caen
Retour sur le 6 décembre 1933, jour de pose de la première canalisation sur le Grand Odon.
C’était il n’y a pas si longtemps que cela, le temps d’une vie d’homme finalement. Il y a un peu plus de quatre-vingts ans, le 6 décembre 1933, était posée la première canalisation sur le Grand Odon, l’un des cours d’eau qui circulaient dans le centre-ville de Caen. Un événement ? Un symbole, celui d’une ville qui laisse définitivement ses atours moyenâgeux pour choisir les voies de la salubrité publique moderne.
Caen fut pendant des centaines d’années une cité traversée par l’Orne et ses affluents, les Odons, à ciel ouvert ; jusqu’au Moyen-Age, le port arrivait jusqu’à la rue Hamon, où se trouve notamment aujourd’hui le magasin C & A. La tour Leroy, toujours sur pied, et la tour aux Landais, qui n’existe plus, servaient de tours de guet pour voir de loin les invasions. Le centre de Caen était un port et un cloaque à ciel ouvert. Les canaux étaient tout à la fois lavoirs, égouts et dépotoirs. « Si l’on ajoute à cet état une méconnaissance totale de l’hygiène de la part de tous, des demeures étroites, sans air, une alimentation en eau par des fontaines plus ou moins salubres, on comprendra sans peine que la mortalité fut élevée, régulant ainsi une population à forte natalité », relève la Direction de l’eau et de l’assainissement de Caen (1).
Ce fut ainsi jusqu’au début du XXe siècle. « À certaines heures et dans certains quartiers, la puanteur était l’odeur régnante et la nuit, dans certaines rues, on pouvait être témoin du déversement direct par les fenêtres des seaux d’excréments qui venaient dans les caniveaux ; le lendemain, les cantonniers, tant bien que mal, balayaient le tout dans les bouches d’égout qui invariablement retournaient aux Odons. » L’hygiène et la sécurité sanitaire étaient encore des notions très abstraites. « La plupart des Caennais ignorent certainement qu’en 1873, on mourut encore du choléra à Caen et qu’on discutait pour savoir s’il était contagieux. »
De ces Odons, on retient notamment le Grand, qui coulait de l’abbaye aux Hommes (Saint-Etienne) et passait par la rue de Bras et le passage du Grand Turc. Le Petit Odon coulait, quant à lui, rue des Teinturiers, rue Froide, rue aux Fromages, etc…
« Ruisseau fangeux, malsain, insalubre »
Avec le temps, le nom même d’Odon est devenu synonyme d’infamie. Une pétition a même été initiée par des riverains en 1905 : « Les soussignés demandent également à Monsieur le maire de bien vouloir modifier le nom de la rue de l’Odon, cette appellation étant pour le public de la ville de Caen synonyme de ruisseau fangeux, malsain, insalubre. »
Des travaux d’assainissement avaient déjà été engagés dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Mais l’essentiel sera fait de 1932 à 1935. La société Eau et assainissement est chargée d’établir un système séparant les eaux pluviales et les eaux usées. Des canalisations sont posées dans le lit des rivières coulant dans le centre de la ville et une station d’épuration est construite. La pose du premier tuyau a été réalisée en présence du Président de la République, Albert Lebrun. Durant ce chantier quasi titanesque, trois hommes sont morts du typhus attrapé dans les Odons…
(1) Texte extrait de Histoires d’eaux à Caen par Pierre Bourgogne-Le mois à Caen numéro spécial décembre 1982 ; d’après Assainissement de la ville de Caen par Fernand Sabatier, société Eau et assainissement.
Cette rubrique est réalisée avec l’aide de Cadomus, cette association qui a entrepris de reconstituer le Caen d’avant-guerre en 3D. Nous portons notre regard sur le passé et plus particulièrement sur la date anniversaire d’un événement, tirée de la semaine en cours.
Pascal SIMON