L'histoire de la place de la République - Deuxième partie
Le monument en l’honneur de Demolombe.
Cet article est la suite de l’article : histoire de la place de la République – Première partie.
Un haut lieu de l’aristocratie
À la fin du 17e siècle, l’ensemble du quartier de la place Royale est urbanisé. De 1684 à 1689, les Jésuites, installés dans le collège du Mont (au bout de la rue de Bras), construisent leur église qu’ils dédient à Sainte-Catherine-des-Arts, rebaptisée au début du 19e siècle Notre-Dame-de-la-Gloriette. Les anciennes fortifications qui séparaient les Petits-Prés de la vieille ville sont abattues, facilitant ainsi l’incorporation du nouveau quartier au tissu urbain ancien.
Église Notre-Dame-de-la-Gloriette.
Crédits : Patrimoine de France
Haut lieu de l’aristocratie caennaise, la place affiche un certain standing. Elle est plantée de tilleuls et son centre est engazonné, chose rare à l’époque. Les rues entourant le square et ses allées sont pavées dès les années 1760. Un garde municipal est même chargé de déloger « les fainéants, vagabonds et décrotteurs ». On y organise également des cérémonies publiques, la place étant l’un des rares espaces urbains suffisamment vaste pour cet usage. C’est aussi un lieu de passage important puisque des messageries sont implantées à l’emplacement de l’actuel hôtel Royal.
Hôtel Royal avant 1944.
Crédits : collection Georges Pigache
Du fait de la présence de riches marchands et d’aristocrates, la place subit également les soulèvements populaires qui marquent le 18e siècle. Ainsi, en 1725, les émeutiers envahissent l’hôtel de Gosselin de Noyers, lieutenant de police, et l’Hôtel de Plébois de la Garenne, riche négociant et fermier général de l’Abbaye-aux-Hommes coupable selon eux de gaspiller le grain en poudre pour ses perruques. Pendant la Révolution française, la place est renommée place de la Liberté et la statue de Louis XIV est détruite.
La place va rester une pièce importante au cœur du mécanisme urbain de Caen tout au long du 19e siècle et de la moitié du 20e siècle. Le séminaire des Eudistes est récupéré en 1792 par l’autorité municipale. Sont implantés dans le bâtiment, agrandi au fil des ans : la mairie, la bibliothèque municipale, le musée et l’école des beaux-arts, ainsi que la poste.
Cour de l’hôtel de ville, à gauche, aile du musée des Beaux-arts.
Crédits : collection VB, Victor Benaïm, avec l’autorisation d’Yves Bénain
À proximité, l’État choisit l’emplacement de l’hôtel de Manneville pour y construire l’hôtel de la Préfecture. La place devient ainsi un lieu central dans l’histoire politique, administratif et culturelle de la ville. Viennent également s’y implanter des pôles économiques et commerciaux de premier choix. La succursale du comptoir d’escompte au n°15 s’installe le 29 mai 1848 (actuelle agence BNP Paribas). Le Crédit Lyonnais y transfère sa succursale caennaise en 1889. La place abrite également un des principaux hôtel de la ville, l’hôtel Royal qui est le premier trois étoiles de la ville.
Crédit lyonnais avant-guerre.
Collection : collection Aurélien Léger
De la place Royale à la place de la République
En 1860, le comblement de la Petite Orne et l’aménagement du boulevard Saint-Pierre (voir l’article sur le boulevard Maréchal-Leclerc) et du théâtre améliore le lien entre la place et le quartier du théâtre, achevant ainsi la fusion des trois entités du centre-ville actuel (vieille-ville, place de la République, Saint-Jean) ébauchée au 17e siècle.
En 1882, la place est « républicanisée ». Elle est rebaptisée et prend son nom actuel. La statue de Louis XIV, inaugurée en 1828 pour remplacer celle détruite pendant la Révolution est déplacée par le nouveau maire républicain (d’abord devant l’Abbaye-aux-Hommes, puis place Saint-Sauveur dans les années 1950).
Louis XIV place Royale avant déménagement.
Crédits : Archives du Calvados
Malgré le scandale généré par ce transfert, la place est réaménagée et un kiosque à musique est érigé à l’emplacement de la statue.
Kiosque place de la République.
Crédits : droits réservés
Les régiments en garnison dans la ville y offrent des concerts militaires fort appréciés. Plusieurs sculptures viennent également orner le square : Les Dénicheurs d’Auguste Jean Baptiste Lechesne et un monument en l’honneur de Charles Demolombe, inauguré le 5 août 1905, remplaçant un monument installé en 1883 en l’honneur de Daniel-François-Esprit Auber par Eugène Delaplanche. Une partie du monument en l’honneur de Demolombe peut encore être admiré mais dans l’enceinte du château.
Les Dénicheurs.
Crédits : collection Georges Pigache
En 1932, deux nouvelles entrées à la place sont percées. Au nord, la rue Paul-Doumer offre un nouvel accès vers la rue Saint-Pierre. Il s’agit de l’aboutissement d’un vieux projet puisque le percement de cette rue reliant la rue au Canu (actuelle rue Demolombe) à la place Royale est déclarée d’utilité publique en 1857. Abandonné en 1877, il n’est repris que dans les années 1930. Lors des travaux de percement, un bout des murailles est redécouvert. Sur la place, un ancien hôtel particulier est également démoli, ce qui explique pourquoi la façade sur la rue Paul-Doumer de l’hôtel de Banville est quasiment aveugle. Au sud, la construction d’un nouvel hôtel des postes par Pierre Chirol à l’emplacement des anciens jardins de l’hôtel Daumesnil est l’occasion de percer une nouvelle voie, la rue Georges-Lebret, entre le boulevard du Théâtre et la rue Auber, facilitant l’accès à la place depuis le quartier du théâtre.
Hôtel de Banville et rue Paul Doumer.
Crédits : Cadomus – Karl Dupart
La place mutilée
En 1944, la place est durement touchée par les bombardements. Le côté sud est miraculeusement épargné. Mais côté est, un seul bâtiment peut être conservé (le n°11). Au nord, plusieurs bâtiments sont détruits. Mais la plus grande perte est l’ancien séminaire des Eudistes, entièrement détruit par les bombardements successifs.
Destructions place de la République.
Crédits : archives municipales de Caen, fonds Delassalle
Un projet de reconstruction d’un nouvel hôtel de ville sur cet emplacement est conçu par Marc Brillaud de Laujardière en 1949. Après de longs débats, les édiles abandonnent définitivement le projet en 1952 et l’hôtel de ville est finalement transféré dans l’ancienne abbaye aux Hommes dans les années 1960. Un parc de stationnement arboré est aménagé sur l’espace resté vide. Dans les années 1950-1960, la place s’érige de nombreux baraquements pour accueillir les commerces en attendant la fin de la Reconstruction. Cet ensemble est surnommé le « village nègre ». Le dernier baraquement est démoli en mars 1961.
Baraquements place de la République.
Crédits : droits réservés
En 1959, le kiosque est démoli et le monument en l’honneur de Demolombe est démonté. La place est réaménagée autour d’un grand bassin alimenté par une fontaine et des jets d’eau (côté est).
La place de la République et ses bassins.
Crédits : collection Georges Pigache
En octobre 1974, les travaux de percement du parc de stationnement souterrain commencent, entraînant la disparition de la fontaine. Après la fin des travaux du parc de stationnement, qui ouvre le 11 décembre 1975, la place est réaménagée et une nouvelle fontaine est construite. La place prend peu ou prou sa physionomie actuelle.
Du fait de la destruction de l’ancien séminaire des Eudistes et des partis pris lors du réaménagement dans les années 1970, la place est aujourd’hui difficilement lisible. Socialement, elle a perdu son rôle de centralité. Architecturalement, il est difficile d’appréhender ses dimensions exactes. La municipalité, consciente du potentiel de cette place, a lancé depuis quelques années des réflexions sur son évolution.
[Edit : après une phase de concertation en 2017, les travaux de réaménagement de la place ont commencé en . Les nouveaux aménagements de la place ont été inaugurés le