D’un empire à l’autre, Caen au 19ème siècle.
Le patrimoine caennais datant d’avant la Révolution française est assez bien connu de ses habitants. Les deux abbayes, la place Saint-Sauveur, les quelques maisons à pans de bois (52-54 rue Saint-Pierre, Quatrans) sont connus de tous. En trois épisodes, Cadomus va tenter de vous brosser un portrait de l’architecture et de l’urbanisme caennais entre la Révolution et la Seconde Guerre mondiale. Premier épisode : le 19ème siècle, entre le Premier et le Second Empire.
L’urbanisme : Caen, la belle endormie
Jusqu’au 18ème siècle, la ville de Caen est une ville relativement importante dans l’armature urbaine française. Elle fait partie des vingt-quatre principales villes de la République qui envoient leur maire à la prestation du serment de Napoléon Bonaparte. Mais au 19ème siècle, alors que certaines villes de l’ouest voient leur population augmenter fortement, voire doubler (Rennes, Tours), la population caennaise croît très peu, baissant même certaines années. La ville compte 36 231 habitants en 1806, 45 280 en 1851 et 41 564 en 1866.
Pour autant, la ville se transforme et prend un nouveau visage. On continue certaines opérations commencées sous l’ancien régime : le palais de Justice, la caserne Hamelin, disparue en 1944, la destruction des remparts.
Caserne Hamelin et monument des Morts pour la patrie, place du 36RI. Crédits Collection Pigache
Est concrétisé au milieu du 19ème siècle un vieux projet : la construction d’un canal entre Caen et la mer. L’ensablement de l’Orne et ses méandres rendent la navigation de plus en plus difficile. Au 18ème siècle, un canal de redressement est creusé entre Mondeville et Caen ; le gros Odon est également canalisé et redressé mais ce n’est pas suffisant. En 1839, les travaux de creusement d’un canal latéral à l’Orne débutent. Ils se terminent en 1857. L’activité portuaire se déplace autour du nouveau bassin créé à partir du canal de l’Odon (le bassin Saint-Pierre).
Canal de Caen à la Mer. Crédits Collection Pigache
Vue sur le bassin Saint-Pierre
Crédits Collection VB, Victor BENHAIM, avec l’autorisation d’Yves Bénain
Plusieurs opérations d’urbanisme sont menées sur cette période, d’abord dans l’île Saint-Jean. À la fin des années 1810, on décide de transférer l’Hôtel-Dieu, qui occupait la partie sud-est du quartier, dans les locaux vides de l’Abbaye-aux-Dames, jugés plus salubres. Dans les années 1830, les bâtiments gothiques de l’Hôtel-Dieu sont rasés et un nouveau quartier est aménagé. Sont tracées sur les terrains libérés les rues Singer, Neuve-du-Port, du Havre Laplace et de la Marine, ainsi que le quai de Juillet.
Quai de Juillet. Crédits Collection Pigache
Pendant la bataille de Caen, ce quartier est entièrement détruit. Le dernier vestige du séculaire Hôtel-Dieu, un passage voûté donnant accès à une cour de la rue Laplace, disparait alors. Un dernier élément a toutefois été sauvegardé : le portail de la grande salle, démonté dans les années 1830 et remonté sur un mur du musée des antiquaires de Normandie. Il est toujours visible rue de Bras.
Rue Singer avant-guerre. Crédits Fonds Delassalle, archives municipales de Caen | Portail de l’Hôtel Dieu Crédits Karl Dupart – Cadomus |
Les activités polluantes sont également éloignées du centre-ville. En 1832, la poissonnerie, située à côté de l’église Saint-Pierre est transférée dans une halle moderne construite sur les bords de l’Odon.
Ancienne poissonnerie, boulevard des Alliés. Crédits Collection Pigache
Sur la rive droite, la construction des nouveaux abattoirs (alors situés rue de Bras), commencent à Vaucelles (à l’emplacement du cinéma des Rives de l’Orne). Les conditions de vie s’améliorent mais restent toutefois très difficiles. Le taux de mortalité reste ainsi supérieur à ceux des autres villes de France.
Abattoirs, rue de la Gare. Crédits Collection VB, Victor BENHAIM, avec l’autorisation d’Yves Bénain
C’est sous le mandat de François-Gabriel Bertrand (de 1848 à 1870) que la ville connait d’importants travaux. Dans les années 1860, le quartier de la foire, devenu insalubre, est rasé. Un quartier moderne est élevé à sa place : sont créées ainsi les rues Daniel-Huet et Sadi-Carnot.
La ville connait d’importants travaux en vue d’améliorer l’hygiène (nivellement des voies, alignement des immeubles, raccordement à l’égout, mise en place d’un réseau complet de distribution d’eau). En 1855, le premier train en provenance de Paris arrive à Mondeville dans un terminus provisoire, la compagnie et les autorités n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur l’implantation de la gare. Celle-ci ouvre en 1857 dans le quartier de Vaucelles. Dans le centre-ville, la rivière qui traverse la cité est couverte en 1860. Les marquages bleus mis en place pour les Journées du Patrimoine de 2013 nous rappellent que sous le boulevard Maréchal Leclerc et des Alliés, passe un cours d’eau. Ce boulevard, dénommé à l’origine boulevard Saint-Pierre, est venu réunir deux quartiers longtemps séparés (Saint-Jean et Saint-Pierre) ; à tel point qu’il est difficile d’imaginer qu’ils se soient tournés le dos pendant des siècles. Le pont Saint-Pierre est alors définitivement supprimé et l’abside de l’église Saint-Pierre perd de son pittoresque.
À l’occasion de ces travaux, de nouveaux équipements publics sont construits. Certains ont complètement disparu en 1944 et lors des travaux de la reconstruction : la poissonnerie au pied de la tour Leroy est rasée dans les années 60 (alors qu’elle avait échappé en partie aux bombardements), le théâtre construit en 1838, la gendarmerie érigée en 1862 en face du pavillon de la foire (pavillon des sociétés savantes). Certains autres marquent encore le paysage urbain.
Ancien théâtre. Crédits Collection Pigache
Ancienne gendarmerie, rue Daniel Huet. Crédits Collection Pigache
Pavillon des sociétés savantes, rue Daniel Huet. Crédits François Decaen – ville de Caen
L’hôtel de la Préfecture
En 1803, les locaux de la préfecture sont aménagés dans l’ancien collège du Mont (rue de Bras et rue Arcisse de Caumont).
Ancien collège du Mont, rue Arcisse de Caumont.
Crédits Base Mérimée, Ministère de la culture
Le préfet Charles Ambroise de Caffarelli du Falga achète l’hôtel du comte Gosselin de Manneville que ce dernier s’était fait construire vers 1770 sur un terrain situé entre la porte des Prés (en bas du boulevard Bertrand) et la place Royale (actuelle place de la République). Mais cet hôtel particulier est jugé trop petit. Il est de plus érigé sur un terrain humide. Des plans sont dessinés pour transformer l’hôtel, mais sont tous retoqués. Finalement, les plans définitifs, dessinés par Jean-Baptiste Harou-Romain, sont approuvés en 1812. Les travaux débutent, puis s’arrêtent et reprennent pour se terminer en 1822. Des travaux d’agrandissement sont toutefois rapidement entrepris. L’ancien hôtel de Manneville est détruit en 1848 pour y édifier l’aile des bureaux entre 1849 et 1851 sous la direction de Paul Verolle qui respecte le style de ses prédécesseurs. Pour fermer la cour sud qui donne sur la place, Léon Marcotte, nouvel architecte départemental, réalise en 1857 une grande galerie percée d’un portail. Cet ensemble exceptionnel est classé au titre des monuments historiques.
Hôtel de la préfecture, place Gambetta. Crédits François Decaen – ville de Caen
L’académie d’équitation et le quartier Lorge
L’académie est fondée en 1728 par Pierre des Brosses de La Guérinière. Les locaux sont construits à proximité de l’église Saint-Martin (disparue à la Révolution). Elle devient l’une des plus importantes académies du royaume. Elle est plusieurs fois reconstruite et agrandie. Les ultimes modifications sont engagées par Gustave Auvray de 1863 à 1866. L’ensemble était constitué d’un grand manège avec tribunes et vestiaires, d’une écurie pour une quinzaine de chevaux de manège, de boxs pour 60 à 70 chevaux et de différents logements pour les employés, le tout organisé autour d’une cour. L’ensemble s’inscrit dans la tradition de l’architecture classique avec l’apport toutefois de quelques éléments plus modernes. Ainsi, la charpente en bois du manège est solidifiée par des tirants métalliques. L’ensemble est touché pendant la bataille de Caen. La majeure partie des bâtiments est rasée dans les années 1960. Seul le manège et deux pavillons subsistent. Les jeux équestres mondiaux 2014 ont permis la rénovation de ce manège très bien conservé.
Académie d’équitation, le manège, vue depuis la rue de l’Académie. Crédits Karl Dupart – Cadomus
Un peu plus à l’ouest, des grandes écuries sont construites dans les jardins de l’ancien monastère de la Visitation, transformé en caserne à la révolution. Dans ce dépôt de remonte, les militaires élèvent et préparent les chevaux au régime militaire. Cet ensemble de grande qualité, notamment la pharmacie vétérinaire reliée par un préau à la forge des maréchaux encore équipée, est inscrit au titre des monuments historiques.
A gauche, ancienne pharmacie vétérinaire. A droite, ancien monastère de la Visitation. |