Ça déménage

Des institutions religieuses qui ont la bougeotte
Aujourd’hui relativement peu présentes dans le cœur de la ville, les institutions ont par le passé fortement marqué le paysage urbain. Pour autant, elles n’ont pas fait preuve de stabilité et ont migré parfois plusieurs fois au gré de leur histoire et des événements historiques. À cet égard, trois grandes phases peuvent être distinguées : la contre-réforme aux 17ème et 18ème siècles, interrompue par la Révolution ; le 19ème et le début du 20ème siècle ; enfin l’après-guerre, dans le cadre de la Reconstruction. La ville de Caen s’est montrée très ouverte aux idées protestantes – trop pour les catholiques qui, soutenus par le roi, fils aîné de l’Église, entament au 17ème siècle une reconquête de la ville, qui se couvre d’une « blanche parure de couvents » (Jacques-Alfred Galland). Se multiplient alors les couvents, surtout situés dans l’île Saint-Jean, qui connaît une véritable croissance urbaine. Certains ordres préexistent sur le plan national (les Jésuites, les Visitandines, les Carmélites). D’autres, au contraire, sont des créations locales. C’est Jean Eudes qui, à Caen, concentre les forces. En 1643, il quitte l’Oratoire et crée un séminaire dont les locaux sont construits dans les années 1690 (le séminaire des Eudistes, dont nous serons amenés à parler un peu plus tard). Dans les années 1640, il fonde l’Institut de Notre-Dame-du-Refuge, qui devient quelques années plus tard Notre-Dame-de-la-Charité, pour recueillir les femmes de mauvaise vie repenties. L’ordre, qui est reconnu en 1651, occupe plusieurs locaux dans l’île Saint-Jean avant de s’établir durablement sur l’actuel quai Vendeuvre. Dans le même but, Anne Le Roy fonde en 1720, à Vaucelles, l’Association de Marie, qui est reconnue officiellement en 1751 sous le nom des « filles du Bon-Sauveur ». Elles s’établissent à Vaucelles, rue du Four, puis rue d’Auge à partir de 1732.
Notre-Dame-de-la-Charité, quai Vendeuvre. Crédits Ministère de la culture, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
À la Révolution, les congrégations religieuses sont dispersées et leurs biens confisqués. Certaines d’entre elles réussissent toutefois à reprendre possession de leurs anciens locaux au 19ème siècle. C’est le cas de l’ordre de la Charité au début du 19ème siècle. Afin d’y établir un pensionnat, elles absorbent également l’ancien palais des Evêques de Bayeux, contigu à leur établissement (au n° 50 rue Neuve-Saint-Jean). Mais beaucoup s’installent dans de nouveaux bâtiments, souvent occupés avant la Révolution… par d’autres institutions religieuses. On assiste alors à un petit jeu de chaises musicales. Ainsi, les filles du Bon-Sauveur prennent possession de l’ancien couvent des Capucins, fondé en 1575 sur le domaine du prieuré de Brécourt pour y établir un asile « d’aliénés ». Elles y restent jusqu’à la laïcisation de l’hôpital psychiatrique à la seconde moitié du 20ème siècle. Les Capucins emménagent quant à eux rue d’Auge, dans les locaux laissés vacants par les filles du Bon-Sauveur. Rien ne se perd, tout se transforme. Le couvent des Cordeliers (actuelle rue Élie-de-Beaumont) est repris par les Bénédictines. Leur ancien couvent, dit des Petites-Bénédictines (pour les distinguer des Bénédictines de l’Abbaye-aux-Dames), fondé en 1643 sur l’emplacement du collège ou de l’hôtel de Loraille (rue de Geôle), est transformé en temple protestant. Les Visitandines, qui ont perdu leur monastère de la rue Caponière (actuel quartier Lorge, futur FRAC de Basse-Normandie), trouvent asile dans l’ancienne maison des abbés de Saint-Étienne (rue de l’Abbatiale).
Quelques congrégations nouvelles font leur apparition, comme les sœurs de la Miséricorde, qui fondent un hôpital dans la rue des Carmes.
Ancien couvent des Capucins, rue Caponière
Visitandines. Crédits Karl Dupart – Cadomus
En 1944, la guerre vient faire disparaître bon nombre de ces monuments. Dans le cadre de la Reconstruction, il est décidé de transférer les couvents du centre à la périphérie de la ville. Seules les sœurs de la Miséricorde sont autorisées à rester afin de servir l’hôpital. Mais de leurs anciens locaux il ne reste rien (l’actuelle rue de la Miséricorde commémore toutefois son ancien emplacement) ; l’hôpital est reconstruit sur le site de l’ancien couvent des Bénédictines, dont la chapelle est encore en partie debout. Les Bénédictines, quant à elles, se font construire un nouveau couvent à Couvrechef. La Charité est reconstruite à Cormelles-le-Royal, au lieu-dit la Guérinière, rattaché à Caen en 1965. Construits dans les champs, ces deux monastères sont vite rattrapés par l’urbanisation galopante des années 1960 et 1970.
Chapelle de la Miséricorde, rue Elie de Beaumont. Crédits Karl Dupart Cadomus
L’hôtel de ville, de la porte fortifiée à l’abbaye
Si les institutions religieuses ont été amenées à voyager en fonction des vicissitudes de l’histoire, les autorités laïques ont, elles aussi, connu une histoire mouvementée. Nous ne prendrons qu’un exemple, celui de l’hôtel de ville. La ville s’enorgueillit d’avoir l’une des plus belles mairies de France. Mais avant d’occuper les locaux de l’ancienne Abbaye-aux-Hommes, les édiles ont connu d’autres sièges. Première étape, le 13ème siècle : en 1203, Jean sans Terre affranchit la commune de Caen, qui peut se doter d’un hôtel municipal. Ce dernier s’installe dans le Châtelet, porte fortifiée construite au-dessus du pont Saint-Pierre (place Saint-Pierre, à l’angle du boulevard Maréchal-Leclerc et de la rue Saint-Jean). Sur les murs était également inscrite la devise de la ville : « Un Dieu, un Roy ; une Foy, une Loy ». L’hôtel de ville accueillait également une grosse horloge installée en 1314 et qui fut l’une des premières horloges mécaniques en France. Depuis l’hôtel de ville, les édiles pouvaient observer l’activité du port aménagé sur les bords de la Petite Orne, bras de rivière couvert en 1860 (boulevard des Alliés). Mais au 18ème siècle, l’administration municipale délaisse de plus en plus la vieille porte, en mauvais état, au profit de l’hôtel d’Escoville situé à proximité. Pourtant, quand l’intendant Fontette entend détruire le Châtelet, la municipalité refuse la démolition de ce symbole de la liberté communale. En vain : le Châtelet est détruit en 1755 afin de faciliter la circulation sur la route de Paris à Cherbourg.
L’hôtel d’Escoville tient alors lieu d’hôtel de ville mais cette situation n’est que temporaire. En 1792, les autorités municipales se font adjuger les locaux de l’ancien séminaire des Eudistes qui occupe toute la façade ouest de la place de la République. La salle du conseil est aménagée dans une pièce du premier étage du petit séminaire, et l’ancienne église est partagée en deux niveaux par un plancher, le rez-de-chaussée accueillant la grande salle de réception de la mairie. L’étage est réservé à la bibliothèque municipale. Dans le sillage de la mairie, c’est tout un ensemble d’institutions qui s’installe dans l’ancien séminaire, progressivement agrandi au 19ème siècle : musée et école des beaux-arts, bibliothèque, police municipale, hôtel des postes, etc. En 1944, cet ensemble est totalement détruit. Marc Brillaud de Laujardière, architecte en chef de la reconstruction, présente dans les années 1950 un projet de reconstruction d’un hôtel de ville sur son emplacement d’avant-guerre mais le projet est abandonné, la municipalité préférant s’installer dans l’Abbaye-aux- Hommes. L’ancien site est transformé en parc de stationnement arboré, et très peu de traces subsistent de cet ancien monument qui a servi de maison municipale pendant 152 ans.
Ancien Hôtel de Ville, place de la République. Crédits Collection VB, Victor Benaïm, avec l’autorisation d’Yves Bénain