Les transformations de Caen dans l'entre-deux-guerres.

La croissance de la population, atone au 19e siècle, reprend au début du 20e siècle. Cette reprise du dynamisme démographique se confirme dans les années 1920-1930 : 44 794 habitants en 1901, 46 934 en 1911, 53 743 en 1921, 57 528 en 1931 pour atteindre 61 334 en 1936 au dernier recensement avant l’éclatement du deuxième conflit mondial. Aux portes de la ville, des communes, longtemps restées rurales, voient également leur population exploser avec le développement de l’industrie. Dans le sud-est de la l’agglomération, les hauts-fourneaux de Colombelles transforment radicalement le paysage. Le premier haut-fourneau est officiellement allumé le 19 août 1917 par le ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre devenant dès lors le plus grand du monde.
Hauts-fourneaux de Colombelles.
Crédits : archives municipales de Caen, fonds Robert Delassalle
En 1918, le gouvernement fonde à Blainville les Chantiers navals français pour soutenir l’effort de guerre. La Société normande de métallurgie, puis la Société métallurgique de Normandie à partir de 1925, prend rapidement de l’essor. En 1938, elle couvre 160 hectares et produit 250 000 tonnes d’acier. Au pied du plateau, le port de Caen se développe.
Chantiers navals de Blainville.
Crédits : collection Georges Pigache
De nouveaux bassins sont ouverts pour les besoins des hauts-fourneaux et des chantiers navals. Une nouvelle gare de triage, la gare de Clopée est aménagée près du port pour relier la gare de marchandise de la SMN sur le plateau (d’où part à l’époque le chemin de fer minier vers Soumont-Saint-Quentin), le port privé de la SMN et le réseau ferré de l’État.
Nouveau bassin.
Crédits : collection François Robinard
Les villages de la vallée de l’Orne s’en trouvent totalement transformés. Au recensement de 1911, on ne compte que 188 habitants à Colombelles, petit village sur les bords de l’Orne. En 1921, on recense 2 039 habitants et 3 455 en 1936. À Mondeville la population augmente également de manière spectaculaire (de 1 486 en 1911 à 4 878 en 1936) tandis que Blainville passe de 231 habitants en 1911 à 1 206 en 1931, puis redescend à 579 en 1936 après la fermeture des chantiers navals (en 1934). La population de ses communes devient plus métissée, les industries faisant venir des immigrés venus de toute l’Europe, mais également d’Asie. À Colombelles, une église orthodoxe est construite en 1926 pour la population russe et serbe.
Église Saint-Serge.
Crédits : collection François Levallet
De nouveaux quartiers sont construits par la SMN, comme le Plateau, à cheval sur les communes de Colombelles, Mondeville et Giberville. À Caen de nouveaux quartiers sont également créés sur les hauteurs de la ville. Le 18 novembre 1918, la société immobilière et foncière Caen-Extension est fondée pour urbaniser la rive droite. L’année suivante est constitué l’Office municipal d’habitation à bon marché qui construit les cités Georges Clemenceau, Guynemer et de la Haie Vigné. Au nord, la cité-jardin des Rosiers, entamée en 1908, est terminée en 1922. À l’ouest, le vide entre Venoix, alors commune indépendante, et l’ancien Bourg-l’Abbé tend à se combler. En 1930, le parc des Pépinières est créé par la société Caen-Extension sur les anciennes pépinières de la rue Caponière. Le secteur de l’actuel Nice Caennais est toutefois loti dès la seconde moitié des années 1920 comme en témoigne la Villa Hélianthe, maison Art déco datant de 1927.
Villa Hélianthe.
Crédits : Cadomus – Karl Dupart
Cette petite cité-jardin est alors fermée par des grilles comme le rappellent les colonnes en pierre du portail à l’entrée de l’allée du Nice Caennais.
Entrée du Nice Caennais.
Crédits : Cadomus – Karl Dupart
De 1927 à 1939, environ 80 ha du territoire caennais sont construits : bordure de la rue d’Authie (1932), quartier Saint Jean Eudes, rue Hastings (1937), rue de Formigny (1939). Dans le centre-ville, un nouveau quartier voit le jour à l’emplacement de l’hospice Saint-Louis.
Percement de la rue d’Hastings, 1937.
Crédits : collection VB, Victor Benhaïm, avec l’autorisation d’Yves Bénain
La démolition complète de l’ancien établissement, désaffecté en 1908, mais utilisé comme hôpital militaire provisoire, est réalisée au début des années 1920 ; seules sont conservées les deux anciennes tours de fortification, les tours Ès-Morts et Devers-les-Près classées en 1921 (la tour Devers-les-Près étant toutefois radiée en 1926 pour être démolie). Plusieurs voies sont tracées sur les 2,3 ha de terrain entièrement lotis : place Maréchal-Foch, rues Gabriel Dupont, René Perotte, du Onze-Novembre, Paul Toutain, Gaston Lavalley, de Reims.
Place Foch dans les années 1930.
Crédits : collection Georges Pigache
Ce quartier situé à proximité immédiate du centre-ville connaît cependant un développement limité. La place du Maréchal-Foch regroupe les équipements les plus importants. Le 3 avril 1927, est inauguré le monument aux morts de la Première Guerre mondiale dessiné par Paul Bigot. La statue de la Victoire est l’œuvre de Henri Bouchard ; les bas-reliefs sur le socle sont de Raymond Bigot et Alphonse Saladin. Autour de la place, sont élevés des bâtiments Art déco : l’hôtel Malherbe, inauguré en 1933, l’immeuble Beauséjour, et le centre d’émanothérapie qui propose alors des cures par substances radioactives (voir l’article sur la place Foch).
Centre d’émanothérapie.
Crédits : archives Municipales de Caen, fonds Delassalle
À l’extrémité de l’avenue Albert Sorel, un embryon de nouveau campus universitaire se développe : maison des étudiants (1928), cercle des étudiants, dit maison de l’A (1931), laboratoire départemental de bactériologie du Calvados (1932). En 1938, on projette d’ériger une nouvelle faculté des sciences. Les architectes sont choisis, mais le manque de moyen, puis la guerre empêchent le projet de se réaliser.
Maison des étudiants.
Crédits : archives municipales de Caen, fonds Robert Delassalle
En 1931, la ville vote le plan Danger, premier plan d’urbanisme de la ville. Ce plan d’extension et d’embellissement prévoit le percement d’une avenue dans le quartier Saint-Jean entre la gare de l’État et le château mais n’est finalement pas exécuté, trop ambitieux. Entre 1932 et 1935, Caen connaît toutefois d’importants travaux d’assainissement. La Société Eau et assainissement est chargée d’établir un système séparant les eaux pluviales et les eaux usées. Des canalisations sont posées dans le lit des rivières parcourant le centre-ville et une station d’épuration est construite. Place Courtonne, la rigole alimentaire est recouverte. Les Odon disparaissent définitivement de l’hyper centre (voir l’article sur la place Courtonne).
Pose d’une canalisation place Courtonne, années 1930.
Crédits : archives municipales de Caen
Les travaux se poursuivent dans ces années 1930. Deux rues sont ainsi percées entre la rue Saint-Pierre et le boulevard du Théâtre : rues Paul Doumer et Georges Lebret. À cette occasion, deux monuments importants du paysage caennais sont construits.
Vue de la rue Paul Doumer depuis la place de la République, années 1930.
Crédits : collection Georges Pigache
En 1932, la poste centrale, constituée de trois ailes en U organisées autour d’une cour s’ouvrant sur la nouvelle rue Lebret (la quatrième aile fermant la cour a été construite après la Seconde Guerre mondiale), est inaugurée par le président de la République. Œuvre de Pierre Chirol, ce bâtiment, protégé au titre des monuments historiques depuis 2010, offre un exemple très intéressant mélangeant modernité et classicisme architectural (voir l’article sur la place Gambetta).
Poste place Gambetta de nos jours.
Crédits : ville de Caen, François Decaëns
Moderne par sa forme, sa structure en béton armé et l’utilisation du vocabulaire Art déco, notamment le style néo-égyptien, alors très en vogue, mais classique par l’utilisation de la pierre de Caen en parement extérieur et l’ordonnancement des façades. Plus au nord, à l’angle de la nouvelle rue Paul Doumer et de la rue de Bras est construite en 1938 la gare routière sur le site de l’hôtel du Grand Dauphin (occupé depuis les années 1980 par le centre Paul Doumer). L’édification de cette gare est la conséquence de l’abandon progressif du réseau de tramways à vapeur des chemins de fer du Calvados au profit des autocars des Courriers Normands, ancêtres du Bus Vert. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, seule la ligne reliant la gare de Caen à la côte de Nacre est encore en service.
Ancienne gare routière, à l’angle des rues Paul Doumer et de Bras.
Crédits : collection François Robinard
À Caen même, l’exploitation du tramway électrique cesse le 23 janvier 1937. Il est définitivement remplacé par le bus qui roule dans la ville depuis 1932. En 1934, le bâtiment voyageur de la gare de Caen est entièrement reconstruit par Henri Pacon. Les deux grandes halles métalliques, typiques de l’architecture ferroviaire du 19e siècle sont démolies.
Gare de Caen, années 1930.
Crédits : archives municipales de Caen, fonds Robert Delassalle
Le grand hall des départs est surmonté d’un avant-corps monumental éclairé par une grande verrière métallique de style Art déco. À chaque extrémité, cette façade est agrémentée de deux sculptures (la Normandie des Champs par Paul Dideron et la Normandie Maritime par Emmanuel Auricoste), toutes deux fondues par les Allemands durant la guerre. Le chalet néo-normand des chemins de fer du Calvados est remplacé par un édicule en métal de forme circulaire afin de s’harmoniser avec la façade de la nouvelle gare.