Souvenirs de Caen dans les années 1910
Édicule Art nouveau, place Saint-Pierre.
Crédits : collection Georges Pigache
Il y a cent ans éclatait la Première Guerre mondiale. Cet événement majeur marque la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle. Située à l’écart des conflits, la ville de Caen a échappé à la guerre. Pour autant, elle n’est pas restée à l’écart des changements sociaux intervenus à l’issue du premier conflit mondial. Afin de vous présenter cette ville sur le point de changer, Cadomus va se livrer à un petit jeu de fiction. Et si l’on retrouvait aujourd’hui un témoignage d’un voyageur de passage dans le Caen de l’été 1914 ? Que découvrirait-il ? Imaginons un homme entrant dans la cinquantaine. Parti à Paris chercher fortune, il est de retour dans sa ville natale qu’il a quitté 25 ans plus tôt.
« Je suis arrivé à la gare de Caen par le train de 8h52. La gare n’a pas changé avec ses deux grandes halles de fer couvrant les voies, elles me rappellent la gare Saint-Lazare. Sa longue façade percée de baies en plein cintre présente un corps central surmonté d’une petite horloge, typique des gares de première classe de l’ex-Compagnie de l’Ouest.
Ancienne gare de l’Ouest, les grandes halles.
Crédits : collection Georges Pigache
Sur la place de la Gare en revanche, que de nouveautés ! J’aperçois tout d’abord un petit chalet qui, avec ses colombages et ses épis de faitage, n’aurait pas dénoté à côté des belles villas de la Côte Fleurie. On m’apprend qu’il s’agit d’une gare desservie par des tramways à vapeur sillonnant le département. Je remarque effectivement les rails qui me paraissent si étroits : 60 cm seulement. Je me souviens alors avoir vu un petit train de la sorte présenté par Decauville à l’Exposition Universelle lors de mon arrivée à Paris en 1889.
Ancienne place de la Gare et son chalet.
Crédits : collection Georges Pigache
Je distingue également d’autres rails à l’écartement sensiblement plus large, un mètre, qui courent en direction de Vaucelles et je m’étonne de voir des câbles dominant les voies. Il s’agit du tramway électrique me dit-on. La ville est depuis treize ans desservie par trois lignes, l’une reliant la gare de l’État à la gare Saint-Martin, l’autre de l’octroi de Falaise, dans le haut de Vaucelles, à la Maladrerie et une autre reliant le pont de Courtonne à Venoix. Je monte dans une de ces voitures. L’état de propreté laisse singulièrement à désirer. À l’arrière est accrochée une baladeuse ouverte à tous les vents que les Caennais, peu satisfaits, appellent le corbillard (voir l’article sur les trams).
Nous partons à travers Vaucelles et traversons bientôt le pont sur l’Orne. Le niveau de l’Orne est bien haut malgré la chaleur. On m’informe qu’un nouveau barrage a été construit deux ans plus tôt entre le cours Montalivet et le cours Caffarelli.
Cours Caffarelli, le nouveau barrage.
Crédits : collection Georges Pigache
Arrivés sur la place Alexandre III [actuelle place du 36e RI], nous passons devant le monument des Mobiles inauguré juste avant mon départ de la ville. Un trouffion sorti de la caserne Hamelin m’apprend qu’une nouvelle caserne d’artillerie est en construction sur les hauteurs de Vaucelles (voir l’article sur la place du 36e RI).
Place Alexandre III.
Crédits : collection Georges Pigache
Nous nous engouffrons dans la rue Saint-Jean, si pleine d’activités. Je descends de voiture arrivé à la hauteur de la rue Saint-Louis. Je prends cette rue en direction de la Prairie pour rejoindre l’hospice Saint-Louis dont la longue façade est percée seulement de trois portes et de quelques fenêtres. Enfant abandonné, j’y ai passé mes premières années. Je m’arrête devant la façade nue de la chapelle et tente de deviner son clocher octogonal très simple situé à l’arrière. Je me remémore ces cours bordées de bâtiments bâtis au 17e siècle.
Hospice Saint-Louis, la chapelle.
Crédits : collection Georges Pigache
Entre les deux cours se dresse un gros pavillon central dont la façade principale s’élève sur le vaste jardin s’étendant jusqu’aux anciens murs de la ville au sud [la description de l’hospice est fortement inspiré de la description qui en fut faite en dans la Revue photographique de l’Ouest en mars 1914]. Le bâtiment est vide me dit-on, et attend sa démolition. Les enfants et les vieillards sont partis vers l’Abbaye-aux-Dames, elle-même libérée suite à la construction du nouvel hôpital inauguré six ans plus tôt par Clemenceau, alors président du Conseil. On me vante ce nouvel établissement répondant aux normes modernes de l’hygiène. Construit en dehors de la ville, sur la route de Ouistreham, il est éclaté en différents pavillons sur le modèle de l’hôpital Lariboisière ou du nouvel hôpital en cours de construction à Lyon.
Hôpital civil, avenue Clemenceau.
Crédits : collection Georges Pigache
Arrivé au bout de la rue, je traverse le pont sur le canal Robert, bras d’eau qui courait de l’abreuvoir de l’hippodrome à l’Orne. Je remonte le boulevard Circulaire, puis la rue Daniel Huet et tombe sur la place de la Préfecture où une nouvelle école cache désormais le Pavillon des Sociétés savantes. Dans ce dernier, on peut admirer les œuvres du colonel Langlois. Je sillonne ensuite les cités Grusse et Gardin (voir l’article sur la place Gambetta).
Rue Grusse.
Crédits : Cadomus – Karl Dupart
Cette dernière est composée de petites constructions posées de manière anarchique et abrite un méli-mélo d’activités sans ordre apparent.
Ancienne cité Gardin.
Crédits : archives municipales de Caen
Plus loin, je débouche sur une grande avenue partant de la place du Parc [place Louis-Guillouard] et se terminant en cul-de-sac dans la Prairie. Tracée sur des terrains remblayés avec des débris de construction, elle vient tout juste d’être prolongée. En remontant la large avenue [Albert Sorel], je passe devant un vaste bâtiment dont le grand porche est encadré de deux tourelles. Il s’agit de l’Omnia, première salle de cinéma sédentaire ouverte quatre ans plus tôt. Son architecture n’est pas sans rappeler le passé forain du cinéma et ressemble fort à quelques cirques que l’on aurait figés en bois.
Cinéma Omnia, avenue Albert Sorel.
Crédits : collection Georges Pigache
Passant devant la statue de Louis XIV qui garde l’entrée du lycée Malherbe, j’arrive sur la place Fontette et remarque que la vieille prison accolée au palais de justice a été rasée permettant à la voie d’être prolongée jusqu’à la rue Saint-Manvieu. Je pénètre dans la vieille ville par la place Saint-Sauveur. Elle n’a pas changé. Je découvre en revanche que l’alignement de la rue Pémagnie est enfin terminé, même si quelques maisons en haut de la rue rappellent l’ancien tracé. Le tramway remonte désormais une longue rue rectiligne jusqu’à la gare Saint-Martin.
Rue Pémagnie.
Crédits : ville de Caen, François Decaëns
Je me dirige ensuite vers le Palais des Facultés et constate que le vénérable bâtiment du début du 18e siècle a considérablement été agrandi. Il occupe désormais tout le pâté de maison situé derrière l’église Saint-Sauveur, entre les rues de la Chaîne, désormais appelée rue Pasteur, aux Namps et Saint-Sauveur. En face de l’université, rue Pasteur, un lycée de jeunes filles, construit à l’emplacement du couvent des Ursulines, s’apprête à ouvrir ses portes. Le reste de la vieille ville est resté inchangé depuis mon dernier départ. Composé d’un entrelacs de ruelles et de cours en enfilade, la densité y parait étouffante par cette chaude journée d’été.
Collège Pasteur, rue Pasteur.
Crédits : ville de Caen, François Decaëns
Je remarque tout de même des bâtiments nouveaux, comme la Caisse d’épargne dans la rue de Bras, la succursale du Crédit lyonnais, place de la République, ou la pharmacie Mullois à l’angle des rues Hamon et Saint-Pierre.
Ancienne Caisse d’épargne, rue de Bras.
Crédits : collection Aurélien Léger
Sur la place Saint-Pierre, l’édicule du tramway n’est pas sans rappeler le style nouille du métro parisien. Je finis enfin par prendre mes quartiers dans l’hôtel Moderne sur le boulevard Saint-Pierre, tout près des Galeries Lafayette. Je me repose après avoir relevé tant de nouveautés.
La suite des pérégrinations de notre voyageur Caennais dans les années 1920 et 1930.